Maladie carieuse et topiques fluorés
La maladie carieuse est considérée comme étant chronique par certains et infectieuse transmissible par d’autres. Quoi qu’il en soit, elle est multifactorielle et sa gestion doit être planifiée au cas par cas en prenant en compte la modification des facteurs de risque et en favorisant les soins les moins invasifs possibles. Parmi eux, les topiques fluorés sont incontournables du fait de leur efficacité démontrée en prévention.
Michèle Muller-Bolla1 et Sophie Doméjean2
1 Dép Odontologie pédiatrique, CHU de Nice, UFR Odontologie, Université Côte d’Azur ; France
2 Dép Odontologie conservatrice et endodontie, UFR Odontologie, Université Clermont Auvergne ; CHU de Clermont Ferrand
Maladie carieuse et topiques fluorés
Considérée par certains comme une maladie chronique et, par les autres, comme une maladie infectieuse transmissible, la maladie carieuse est une maladie multifactorielle qui peut être prévenue ou intercepter tant à l’échelle individuelle que dentaire.
Dans l’hypothèse de la maladie chronique, elle est considérée comme étant la conséquence d’une surconsommation de sucre (facteur causal indispensable) à l’origine de la prolifération des bactéries cariogènes saprophytes du biofilm oral. Autrement dit, la maladie carieuse est la conséquence d’un changement écologique dans l’équilibre du microbiote oral (physiologiquement bénéfique) dû à des modifications de comportements alimentaires.
Dans l’hypothèse de la maladie infectieuse transmissible, elle est associée à la transmission des streptococcus mutans de l’entourage (membres de la famille ou personnes qui en ont la garde) au jeune enfant. La transmission se fait, par exemple, via une cuillère qui passe d’une bouche à l’autre pour tester la température. Il est intéressant de noter que la transmission des bactéries cariogènes est accrue en cas de mauvais état de santé bucco-dentaire de l’entourage [1].
Quelle que soit la définition choisie et quel que soit l’âge des patients, la maladie carieuse doit être appréhendée comme une maladie multifactorielle qui nécessite une évaluation de ses facteurs de risque, tant à l’échelle de l’individu que buccale, pour adapter les solutions préventives et thérapeutiques au cas par cas [2-4]. L’évaluation du risque carieux ne fait cependant pas consensus, les niveaux de risque comme les facteurs recherchés pouvant varier d’une méthode à l’autre. En France [3, 5], comme dans le récent guide pratique « CariesCare » [6], le risque carieux est évalué de façon dichotomique, « faible » versus « élevé » (Tableau 1). Chaque niveau de risque est associé à des recommandations de prévention primaire, variables en fonction de l’âge, qui visent à prévenir le développement de nouvelles lésions carieuses [3, 6]. Ces stratégies cario-préventives sont essentiellement basées sur l’utilisation régulière de topiques fluorés à domicile ; et chez les patients à risque carieux élevé, des applications professionnelles de topiques à haute concentration en fluor et de scellements de sillons doivent être envisagées. La prise en charge globale et individualisée de chaque du patient inclut également des actes de prévention secondaire (gestion des lésions carieuses sans symptomatologie : Fig. 1) et tertiaire (gestion des lésions carieuses avec symptomatologie : Fig 2) correspondant à des traitements les moins invasifs pour être compatibles avec le concept de préservation maximale des tissus (émail, dentine, pulpe dentaire) [2-4].
Plusieurs topiques fluorés sont à disposition des chirurgiens-dentistes (applications professionnelles) et des patients (utilisation à domicile) : dentifrices, vernis, gels et bains de bouche fluorés. En fonction de leurs modalités d’utilisation/prescription, ils participent à la prévention (primaire) mais aussi à l’interception des lésions carieuses (prévention secondaire ou tertiaire) (Fig. 1, 2).
Les dentifrices fluorés d’un dosage minimum de 1 000 ppm et utilisés au moins deux fois par jour sont efficaces, à tous les âges, en prévention primaire [7]. Pour prévenir le risque de fluorose dentaire chez les enfants de moins de 6 ans qui contrôlent mal leur déglutition, les recommandations à propos de la quantité de dentifrice à 1 000 ppmF à déposer sur la largeur de la brosse à dents enfant varient en fonction de l’âge : une simple trace avant 3 ans (période pendant laquelle les dents permanentes antérieures sont particulièrement exposées au risque de fluorose) et un petit pois à partir de 3 ans. En denture temporaire, pour être efficace, le brossage doit être réalisé par un adulte; il est progressivement réalisé par l’enfant tout en restant supervisé par l’adulte jusqu’à 8 ans. A partir de 6 ans et pendant toute la vie, un dentifrice à 1 000-1 450 ppmF, dit « standard », est recommandé [7]. Les dentifrices standards permettent également d’intercepter les lésions carieuses (prévention secondaire ou tertiaire) lorsque les facteurs de risque (notamment les mauvaises habitudes alimentaires) sont corrigés [8]. D’autres dentifrices dosés à 2 500 ppmF ou plus sont dits « à hautes concentrations en fluor » ; ils peuvent être recommandés à partir de 10 ans pour intercepter les lésions carieuses proximales [3] : la reminéralisation ou l’arrêt des lésions nécessite alors plusieurs mois d’utilisation régulière.
Les vernis fluorés d’au moins 22 600 ppm correspondent aux topiques d’application professionnelle les plus efficaces en prévention primaire [9]. Ils sont indiqués deux à quatre fois par an chez les sujets à risque carieux élevé en denture temporaire, mixte ou permanente. En prévention secondaire, la fréquence d’application alors limitée à la dent affectée par une lésions carieuse et d’au minimum trois fois, à une semaine d’intervalle. La ré-application est interrompue une fois la lésion reminéralisée ou arrêtée [3].
Les gels fluorés (5 000-12 300 ppmF) ont montré leur efficacité chez l’enfant et l’adolescent lorsqu’ils ont été comparés à un placebo ou à une absence de traitement [10]. Ils sont indiqués en l’absence de vernis fluorés, ces derniers étant plus avantageux. Les gels contrairement aux vernis sont contre-indiqués en denture temporaire du fait d’un risque d’ingestion majoré lors de leur application. De plus, ils sont moins coût-efficaces du fait de l’utilisation de gouttières bi-maxillaires à usage unique pour leur application [11].
Les bains de bouche, tout comme les gels fluorés, ont montré leur efficacité chez l’enfant et l’adolescent par comparaison à un placebo ou à une absence de traitement. Utilisables au domicile, ils sont aussi contre-indiqués en denture temporaire pour le même risque d’ingestion. Ils ont souvent été utilisés en milieu scolaire, à l’occasion de programmes de prévention basés sur une utilisation quotidienne (bain de bouche à 225 ppmF) ou hebdomadaire (bain de bouche à 900 pmmF) [12].
Les solutions de fluorure de diamine d’argent (FDA) à 38% sont efficaces en prévention secondaire/tertiaire pour arrêter les lésions carieuses cavitaires dentinaires des dents temporaires, comme des permanentes (Fig 2) ; et les meilleurs résultats sont obtenus grâce à des applications biannuelles [13]. Si les traitements restaurateurs restent la stratégie de référence dans le cas des lésions cavitaires (afin de prévenir les migrations dentaires et donc les pertes d’espace et leurs conséquences sur l’occlusion), les solutions de FDA représentent une option intéressante chez les patients polycariés en traitements intermédiaires (avant réalisation de soins restaurateurs plus conventionnels), chez les patients non-coopérants ou en cas de difficultés d’accès aux soins (dans les pays à faible démographie professionnelle ou chez les personnes institutionnalisées). Par exemple, chez les personnes âgées, les solutions de FDA à 38% se sont révélées également efficaces pour intercepter les lésions radiculaires. Les patients leur reprochent souvent la coloration des lésions en noir après application du vernis ; leur utilisation nécessite donc une information adaptée. Cette coloration signe l’inactivation de la lésion accélérée par la présence d’argent [13].
Tableau 1 : Evaluation du risque carieux selon CariesCare InternationalTM [6]
Facteurs de risque | Facteurs protecteurs |
Facteurs de risque sociaux, médicaux, comportementaux
-Hyposalivation inhérentes aux médicaments, maladies, radiations tête/cou, âge -Prise élevée (quantité/fréquence) de sucres libres par le biais de boissons (y compris jus de fruits et smoothies), d’encas et des repas -Faible niveau socio-économique, faible niveau de connaissances en matière de santé, difficultés d’accès aux soins -Consultation dentaire uniquement motivée par douleur, faible motivation, défaut d’engagement -Besoins spécifiques de santé, handicaps physiques Facteurs de risque cliniques -Expérience carieuse récente et présence de lésions carieuses actives -PRS/prs* -Hygiène buccale médiocre avec accumulation de plaque -Zones de rétention de plaque -Faible débit salivaire Facteurs de risque particuliers aux enfants -Mère/personne ayant la garde de l’enfant présentant des lésions carieuses actives -Biberon/sucette contenant du sucre ajouté ou naturel utilisé fréquemment dans la journée ou la nuit (y compris lait, jus de fruits et smoothies) -Non-utilisation quotidienne d’un dentifrice d’au moins 1000 ppmF -Molaires en cours d’éruption Facteurs de risque particuliers aux personnes âgées -Surfaces radiculaires exposées -Capacité réduite pour assurer une bonne hygiène buccale | Dentifrice fluoré
-Brossage biquotidien avec un dentifrice d’au moins 1000 ppmF Soins dentaires -Réguliers soins cario-préventifs, incluant par exemple l’application de topiques fluorés Fluorures systémiques -Accès à de l’eau fluorée ou à d’autres véhicules de fluor à l’échelle populationnelle |
*Indice PuIpal Involvement-Roots-Sepsis (modifié à partir PUFA/pufa) : conséquences cliniques des lésions carieuses non traitées. P/p : complications pulpaires ; R/r: complications carieuses entraînant la perte de structures dentaires et interdisant la restauration de la dent ; S/s: complications infectieuses pulpo-parodontales
Le sujet est considéré comme à risque carieux élevé si :
- il présente au moins un des facteurs notés en rouge ;
- il présente plusieurs facteurs de risque (en particulier liés aux comportements alimentaires ou à l’hygiène buccale) ou ;
- il ne présente aucun facteur protecteur.
Références
- 1. Pitts NB, Zero DT, Marsh PD et al. Dental caries. Nat Rev Dis Primers 2017 ;3: 17030
- 2. Policy on early childhood caries (ECC): classifications, consequences, and preventive strategies. Pediatr Dent 2017 ;39(6) :59-61.
- 3. Collège Enseignants en Odontologie Pédiatrique, CEOP. Guide d’Odontologie Pédiatrique – la clinique par la preuve. Ed CdP 2018, Paris. 2ème Ed.
- 4. Doméjean S, Banerjee A, Featherstone JDB. Caries risk / susceptibility assessment: its value in minimum intervention oral healthcare. Br Dent J 2017; 223(3):191-197.
- 5. Appréciation du risque carieux et indications du scellement prophylactique des sillons des premières et deuxièmes molaires permanentes chez les sujets de moins de 18 ans. 2005. https://www.has-sante.fr/jcms/c_272496/fr/appreciation-du-risque-carieux-et-indications-du-scellement-prophylactique-des-sillons-des-premieres-et-deuxiemes-molaires-permanentes-chez-les-sujets-de-moins-de-18-ans
- 6. Martignon S, Pitts NB, Goffin G et al. CAriesCare practice guide: consensus on evidence into practice. Br Dent J 2019;227(5):353-362.
- 7. Walsh T, Worthington HV, Glenny AM et al. Fluoride toothpastes of different concentrations for preventing dental caries. Cochrane Database Syst Rev 2019; CD007868. DOI: 10.1002/14651858.CD007868.pub3.
- 8. Marinho VC, Worthington HV, Walsh T et al. Fluoride varnishes for preventing dental caries in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev, 2013. 7: p. CD002279.
- 9. Innes NP, Frencken JE, Bjørndal L et al. Managing carious lesions: consensus recommendations on terminology. Adv Dent Res 2016; 28: 49–57.
- 10. Marinho VC, Worthington HV, Walsh T et al. Fluoride gels for preventing dental caries in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev, 2015. 6: p. CD002280.
- 11. Schwendiche F et Stolpe M. In-office application of fluoride gel or varnish: cost-effectiveness and expected value perfect information analysis. Caries Res 2017;51(3):231-39.
- 12. Marinho VC, Chong LY, Worthington HV et al. Fluoride mouthrinses for preventing dental caries in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev, 2016. 7: p. CD002284.
- 13. Tedesco TK, Gimenez T, Floriano Iet al. Scientific evidence for the management of dentin caries lesions in pediatric dentistry: A systematic review and network meta-analysis. Plos One 2018;13(11):e0206296.